La première chose que j’ai remarquée en arrivant à Belgrade, c’est le chaos de fils noirs, les immeubles tantôt haussmaniens ou Art Nouveau, magnifiques et blancs, au coude à coude avec des chicots de béton vieillis avant l’âge. L’atmosphère générale est d’une profonde étrangeté pour un voyageur venant d’Europe de l’Ouest, car éléments familiers, modernes, tels qu’affiches et enseignes, mais aussi fragments d’univers orthodoxe ou collectiviste, colorés ou sombres mais toujours grandiloquents, se succèdent sans rime ni raison. Il y aussi quelques buildings modernes, aux lignes déconstruites, qui reflètent le ciel. Le jour règne un calme dévoué aux affaires et au tourisme, car le centre-ville est semi-piéton. Dans l’épaisse chaleur qui commence tout juste à s’alléger en début de soirée, les passants flânent sur l’avenue Knez Mihaïlova, piétonne et pavée en une alternance de gris clair et de pastel. Les rares plages d’ombre se situent sous les parasols blancs des terrasses de café, qui ne désemplissent pas. Faites bien attention au type de breuvage noir que vous demandez, au fait. Sur la grand-place trônent deux vieux palaces, assez massifs, le modeste Moscou et l’humble Balkan. Devinez où je me rends pour poser mes affaires, avant d’entamer les choses sérieuses ?
La ville, la nuit
Repas à la terrasse du Lasko Pivo, un très vieux restaurant -1825, signale-t-il fièrement-, en haut de la rue Sklardarska, alors que le ciel glisse progressivement du mauve au noir d’encre, et que les lampadaires s’allument. La Sklardarska est une rue pavée aux allures de village, avec souvent de petites marches, des bacs d’arbustes, des arbres qui par endroits forment presque des voûtes, et quantité de terrasses de café. Elle bruisse des conversations, des rires. La cuisine locale propose le kajmak, un fromage de brebis mousseux, accompagné de tomates, de concombres, d’énormes grands pains chauds, puis des grillades à n’en plus finir, le tout arrosé de Sljivovica, une redoutable eau de vie de prune. Le dessert est un gâteau aux noix et à la fleur d’oranger, délicat en terme de saveur, mais consommé lentement, presque en somnolant, dans la quiétude qui suit les repas gastronomiques. La nuit commence par le World Travellers, à quelques rues de là, près du centre ; un ancien abri sous un immeuble, un peu secret (cherchez l’enseigne), aménagé avec des meubles de récupération. C’est un endroit malgré tout trop bien fréquenté, les filles sont superbes, les serveurs parlent un mélange de serbe et d’anglais. La cave est comme il se doit enfumée : peu prudent d’essayer d’interdire la clope, sous quelque prétexte vaseux de santé publique, à des jeunes dont la plupart ont fait la guerre, une révolution, ont d’autres soucis avec le chômage et savent se servir d’une arme. Un chat de gouttière trouve le moyen de rentrer, et se balade, d’un pas nonchalant de VIP félin. S’avachir là ? Hors de question. Belgrade, qui fait un million d’habitants, n’est pas une grande métropole, ce qu’elle compense par sa nature très compacte. Quantités de lieux différents ne sont qu’à quelques pas les uns des autres, comme autant de bulles collées les unes aux autres. Il suffit de traverser la Save pour accéder au Nouveau Belgrade, une ville flottante dédiée à la nuit. Plus de 200 péniches en enfilade ! Toutes les ambiances, toutes les musiques, une sourde, hoquetante cacophonie d’éclats de voix et de beats lorsque des groupes entrent ou sortent, et des files de fêtards dans les deux sens, violemment colorées par les néons.
L’aube au Kalemegdan
Quelque part avant le petit matin, baigné de sueur, j’ai fini par trouver mon second souffle. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais en pleine forme, mais d’un coup je me suis senti assez d’énergie pour aller profiter de l’herbe et de la fraîcheur du parc Kalemegdan. C’est un plateau, avec là où la Save se jette dans le Danube, une forteresse en ruine. Elle fut construite juste avant l’occupation turque, et son constant remaniement a produit un empilement de siècles lisible dans ses remparts. Ils abritent aujourd’hui des restaurants, parmi lesquels le réputé Kalemeganska Terasa. Plus tard dans la journée, les joueurs d’échec viendront dans ces murs reproduire les luttes d’autrefois. Et l’aube se lève, dévoilant la Save, les péniches du Nouveau Belgrade, puis l’île boisée de Ratno Ostrvo, où l’on vient pique-niquer ; les baignant d’une douce lumière qui ne tardera pas à devenir implacable. Au loin, un panorama d’arbres dominé par une irréelle muraille de tours et de barres socialistes, choses géométriques sans âme, surgies d’Orange Mécanique. Ici comme dans nos banlieues, à la même époque, les architectes voulaient plier l’être humain à cette utopie à la fois barbare et naïve que Kundera qualifiera plus tard de «sourire sanglant de l’innocence»… Pour me consoler j’irai visiter le très vieux Belgrade de la rue Kosancicev, puis le musée Tesla, car l’excentrique inventeur du courant alternatif et des câbles à haute tension est originaire de la ville, ou encore le palais de la princesse Ljubica, bâti au XIXème siècle quelques années avant que l’Empire Ottoman ne retire sa dernière garnison. On dit que c’est le fleuron du style balkanique, une synthèse entre le classicisme européen et les courbes orientales, gardé par une tour. Pour finir, les jambes mortes et les pieds recuits, j’irai m’asseoir sur un banc dans la nef immense de la cathédrale Saint-Sava, aux murs blancs et aux dômes bleu-nuit surmontés de croix dorées, église inspirée de Sainte Sophie et comme elle pourvue de quatre tours aux angles. C’est déjà le plus grand lieu de culte orthodoxe, bien que sa construction ait débuté dans les années 30, et que les guerres et le socialisme aient empêché son achèvement. Peut-être trouverai-je le moyen de m’endormir…
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